L’art de l’horlogerie est avant tout un art de la précision. Et personne n’incarne mieux cette quête de l’exactitude et de l’absolu technique que l’horloger célèbre qu’est Abraham-Louis Breguet. L’homme a élevé la mesure du temps à un degré jamais atteint jusque là, et a permis, ce faisant, aux montres et aux horloges d’entrer de plain-pied dans l’ère de la modernité.

Abraham-Louis Breguet, l’homme qui sublimait les montres

Hormis le Tourbillon, qu’il a inventé en 1801, Abraham-Louis Breguet n’a jamais été l’horloger des grands éclats. Il n’a pas été aussi flamboyant que Ferdinand Berthoud, dont il a pris la succession comme horloger en titre de la Marine Royale, ni aussi têtu que John Harrison, avec lequel il a en commun d’avoir conçu des chronomètres de marine. Breguet était l’homme des inventions discrètes, des avancées silencieuses. Mais, tout doucement, ses petits pas étouffés ont contribué à changer en profondeur la conception de l’horlogerie, jusqu’à ouvrir la voie aux développements modernes des mécanismes propres aux garde-temps.

Abraham-Louis Breguet est né suisse, à Neuchâtel, le 10 janvier 1747, dans une famille d’horloger. Sa vocation est donc presque une évidence. Mais il délaisse bientôt les siens pour rejoindre la France, et précisément la cour du roi à Versailles, où il bénéficie d’un perfectionnement de son apprentissage sous la houlette de Jean-Antoine Lépine et, surtout, de Berthoud, qui illumine alors la scène horlogère parisienne de par ses talents de professeur et de pédagogue.

C’est Quai de l’Horlogerie, à Paris, que s’installe Breguet pour ouvrir son atelier. Nous sommes en 1775, le jeune homme n’a que 28 ans. Il lui faudra moins de dix ans pour lancer ses premières inventions (comme le ressort-timbre pour les montres à répétition), accéder au rang de maître-horloger (en 1784), et se faire repérer de Louis XVI et de Marie-Antoinette pour ses créations tout à fait remarquables. En 1786, le gouvernement sollicite son avis pour une manufacture royale d’horlogerie dont le roi projette la construction.

La Révolution l’oblige à se réfugier en Suisse, mais il revient à Paris en 1792 et obtient la citoyenneté française. Sa réputation continue de grandir lorsqu’il présente sa candidature à l’Académie des sciences, dans la section des arts mécaniques (il n’y entrera toutefois qu’en 1816), avant de remporter une médaille d’or lors de l’Exposition nationale des produits de l’industrie, en 1798. Apprécié de Bonaparte, qui lui achète trois pièces, Breguet alterne entre la conception de nouveaux mécanismes – ainsi le régulateur à Tourbillon dont il dépose le brevet le 26 juin 1801 – et la réalisation de pièces uniques à la demande de riches et puissants commanditaires, notamment une montre-bracelet restée célèbre fabriquée pour la reine de Naples.

Également passionné par les chronomètres de marine, dont il crée en 1815 un modèle à double barillet, Abraham-Louis Breguet accède au titre d’horloger en titre de la Marine Royale suite au décès de son ancien professeur, Berthoud. Il rédige un livret d’Instructions sur l’usage des montres marines et se préoccupe aussi bien d’astronomie, avec la conception d’un oculaire pour lunette d’observation. En parallèle, son importance à la cour ne cesse de croître : c’est l’époque où il est nommé membre du bureau des Longitudes, reçu à l’Académie des sciences, et couronné de la Légion d’Honneur pour Louis XVIII.

Parvenu au sommet de son art et de sa notoriété, Breguet décède le 17 septembre 1823 à Paris, laissant la succession de son affaire à son fils Louis-Antoine.

Des inventions précises et précieuses

Moins flamboyant que certains de ses confrères, Abraham-Louis Breguet construit d’abord sa réputation sur son aptitude extraordinaire à améliorer les mécanismes existants, comme si ceux-ci n’attendaient que son génie pour être sublimés. Son travail sur la montre perpétuelle, notamment, lui octroie un grand crédit dans le monde de l’horlogerie.

Quand il s’attèle à ses propres inventions, c’est sur la précision mécanique qu’il fait des miracles. Notons par exemple :

  • En 1783, le ressort-timbre pour les montres à répétition
  • En 1790, le pare-chute, qui comme son nom l’indique est destiné à encaisser les chocs auxquels sont soumis les garde-temps
  • En 1795, le spiral Breguet
  • En 1799, la montre à tact
  • En 1801, le Tourbillon
  • En 1810, la montre-bracelet
  • Ainsi que de nombreux échappements particulièrement précis

Ajoutons, à cette liste non-exhaustive : des chronomètres de marine, des pendules astronomiques, des thermomètres métalliques, etc.

Breguet : toujours un temps d’avance

S’il fallait ne garder qu’une invention mise au point par Abraham-Louis Breguet, ce serait certainement le Tourbillon. Breguet cherchait alors à concevoir un mécanisme permettant d’équilibrer les différentes pièces de la montre. Jusque là, un garde-temps, par défaut, subissait l’influence de la gravité sous la forme de légers décalages chronométriques. Le Tourbillon était un système de rotation qui emportait l’ensemble échappement-balancier dans une cage mobile, permettant ainsi de compenser les effets de la gravité terrestre, et de pondérer les variations inhérentes à toute activité humaine. Depuis 1801 et son brevetage, le Tourbillon, amélioré de bien des manières par la suite, est resté une invention absolument mythique.

Le Tourbillon fut l’application de l’ambition propre à Breguet : atteindre la perfection dans la précision des mécanismes d’horlogerie. En parallèle, le maître ouvrit la voie à l’ère des grandes complications horlogères, offrant à la postérité un must de précision et de complexité : la montre n°160 dite « Marie-Antoinette ».

Au fil de sa carrière, Abraham-Louis Breguet a révolutionné de nombreux aspects de l’horlogerie, avec une discrétion qui n’avait d’égale que son humilité. À travers son talent, l’art de l’horlogerie est surtout devenu un art de la précision mécanique et temporelle.