Mal connue du grand public, l’horlogerie allemande a pourtant construit sa renommée petit à petit, en s’appuyant sur des valeurs proprement germaniques de rigueur et de précision. Émulée par la proximité de son voisin suisse, l’industrie horlogère teutonne a développé une offre alternative au marché helvétique, sur la base d’un excellent rapport qualité/prix, qui ne cesse ces dernières années de monter en puissance.

L’horlogerie allemande jusqu’au XIXe siècle

La naissance de l’horlogerie allemande n’est pas étrangère à l’exode des horlogers huguenots qui touche la France au lendemain de la révocation de l’Édit de Nantes en 1685. Comme un siècle plus tôt, les artisans de confession protestante s’exilent en masse, de peur des pogroms, pour se réfugier en Angleterre, aux Pays-Bas, en Suisse, et donc en Allemagne, notamment dans la ville de Pforzheim.

L’Allemagne du début du XIXe siècle (qui n’est pas encore tout à fait l’Allemagne mais toujours la Prusse) fait vivre une tradition horlogère sans prétention, comme c’est le cas de la plupart des pays d’Europe. Depuis trois bons siècles, les horloges astronomiques et de clocher y côtoient des pendules et des coucous traditionnels, mais sans plus. C’est là qu’Adolph Lange, un artisan discret, révèle l’ampleur de ses talents en Saxe, dans le cœur battant de l’horlogerie allemande, comme apprenti de Friedrich Gutkaes.

Après un parcours à travers les ateliers suisses et français, dont il retire une expérience considérable relativement à son art, Lange prend les rênes de l’atelier de Gutkaes et fonde une manufacture horlogère de premier plan dans une ville triste de l’Est du pays, Glashütte. Il forme lui-même, sur place, les ouvriers du coin, contribuant ainsi à la création d’une structure de formation appelée l’École d’Horlogerie Allemande.

Pendant ce temps, chez le voisin suisse, du côté de La Chaux-de-Fonds, c’est à un rejeton teuton que l’on doit l’invention de la montre à bas coût – rien que ça ! En 1855, Georges-Frédéric Roskopf fonde avec son fils et un horloger du nom de Henri Gindraux, la maison Roskopf, Gindraux & Co., avec pour ambition de concevoir des garde-temps pour hommes faciles à fabriquer, donc peu coûteux, mais toujours de bonne qualité. L’industrie suisse accueille assez mal cette nouveauté qui chercher à bousculer son hégémonie dans le domaine du luxe ; mais l’aventure prouve, du moins, la volonté toute germanique des horlogers à innover dans ce secteur, que ce soit sur leur propre territoire ou ailleurs.

À la fin du XIXe siècle, l’empereur Guillaume Ier prend en main la production horlogère nationale et fait édifier l’observatoire de Hambourg, inspiré de celui de Greenwich en Angleterre. Dans la foulée, le pays commence à produire ses propres chronomètres de marine, en tirant parti des avancées françaises et anglaises, et à partir des critères exposés par la Conférence des Chronomètres de 1878. Adolphe Lange lance ses premiers modèles en 1886.

La course à l’horloge de marine allemande est lancée. Grossmann et Strasser & Rhode en produisent également, non sans copier le travail de Lange. Rapidement, l’horlogerie militaire germanique trouve son centre de gravité au cœur de Glashütte – ce sera le cas jusqu’à la réunification allemande, plus de cent ans plus tard. Mais les chronomètres ne sont pas seuls à quitter les ateliers Lange : l’horloger, qui s’est appliqué à miniaturiser ses mécanismes, conçoit un modèle de montre de poche destiné aux militaires, la Beobachtungsuhr. C’est toujours pour s’adapter aux besoins des armées que la montre commence à s’attacher aux poignets des soldats, délaissant le gousset à peu près au même moment que dans le reste de l’Europe – c’est-à-dire entre les deux guerres mondiales.

Un XXe siècle houleux pour la montre germanique

Dans les années 30, l’Allemagne, sous la coupe de son Chancelier vociférant, développe avec frénésie les transports aériens – avions et dirigeables, du moins jusqu’à l’incendie du plus célèbre et du plus imposant d’entre eux, le Hindenburg, en 1937.

Les pilotes et les commandants de bord ont besoin de mesurer le temps partout, tout le temps, et avant tout dans les airs : il leur faut des montres d’observation, de grande taille, lisibles dans l’obscurité. Démarre alors une activité bouillonnante au sein des ateliers d’horlogerie du pays (Lange, mais aussi Laco, Stowa ou Wempe), toutes espérant bénéficier de la manne proposée par le gouvernement en échange d’avancées majeures dans le domaine des garde-temps. Les B-Uhr qui sortent des ateliers sont des succès. Qui ne dureront pas : la fin de la guerre et la division du pays en deux, en rejetant Glashütte dans les mains des communistes, va longuement peser sur la santé de l’horlogerie allemande.

En RDA, en effet, les communistes mettent au pas les ateliers d’horlogerie, considérés comme bourgeois. Les maisons indépendantes sont regroupées dans un organisme typique de l’Union soviétique, voué à produire des montres toutes identiques de marque GUB. Les horlogers de l’Ouest n’échappent pas à cette ambiance morose, comme c’est le cas de la Stowa dont le stock est en partie confisqué par les militaires français.

Il faut attendre la chute du mur de Berlin, en 1989, pour que le tissu économique germanique parvienne à se restructurer. À cette occasion, des marques de montres reviennent à la vie, à la manière de Glashütte Original née des cendres de la GUB, ou Lange, ré-ouverte en 1990 par un descendant de son fondateur. Un succès retrouvé qui donne à l’horlogerie allemande des airs de Petite Suisse…

Quelques inventeurs allemands

Moins connus que leurs compères français, anglais ou suisses, les horlogers allemands ont tout de même apporté leur lot d’innovations au sein de l’industrie horlogère. Voici les plus réputés (dans l’ordre chronologique) :

  • Johann Christian Friedrich Gutkaes
  • Friedrich Wilhelm Bessel
  • Georges-Frédéric Roskopf (exilé en Suisse)
  • Ferdinand Adolph Lange
  • Charles Fasoldt (exilé aux États-Unis)
  • Karl Moritz Grossmann
  • Jules Grossmann
  • Edouard Koehn
  • Salomon Arpels
  • Hans Wilsdorf
  • Matthias Naeschke

Les grandes marques allemandes

L’horlogerie allemande est aujourd’hui tirée par une industrie à deux têtes, installée dans l’Est du pays, à Glashütte, où les sièges sociaux des deux plus grandes marques nationales sont mitoyens : celui de A. Lange & Söhne (appartenant au groupe Richemont), et celui de Glashütte Original (dans le giron du groupe Swatch). Fondée en 1845, A. Lange & Söhne a vu son activité stoppée par la Seconde Guerre mondiale et la division de l’Allemagne, avant une résurrection en 1994. La marque Glashütte Original, elle, n’a vu officiellement le jour qu’au début des années 1990 ; mais la signature était un gage de qualité dès le milieu du XIXe siècle.

Parmi les autres marques de l’horlogerie allemande, citons : Archimede, lancée en 2003 par Ickler ; Junghans, qui existe depuis 1861 et produisait jusqu’à 3 millions de montres par an au début du XXe siècle ; Wempe, un distributeur de bijoux et de montres qui s’est lui-même lancé dans la fabrication de garde-temps, occupant le créneau du milieu de gamme ; ou encore Nomos, marque jeune fondée en 1990, proposant des montres modernes influencées par l’école du Bauhaus.