Manufacture : ce seul mot fait rêver les amateurs de belles montres. La manufacture, c’est là où tout se passe, c’est là où le miracle se produit – celui de l’assemblage du garde-temps, de sa création ex nihilo. De toutes les formes d’entreprises qui se sont donné pour ambition de fabriquer ces merveilles de technologie, la manufacture horlogère est de loin la plus prestigieuse, la plus reconnue… et la plus désirée. C’est qu’elle concentre, à elle seule, tout ce qui fait l’ADN d’un garde-temps haut de gamme. Sans plus attendre, partons ensemble à la découverte de cette partie essentielle de l’industrie horlogère.

Tentative de définition d’une manufacture de montres

Dans l’imaginaire, la manufacture horlogère est une sorte de village d’irréductibles Gaulois dont l’autosuffisance lui permet de résister aux invasions romaines successives. Autrement dit, une manufacture, ce serait (théoriquement) une firme qui crée ses horloges et ses montres de bout en bout, depuis la conception jusqu’à la production, sans faire appel à une quelconque aide extérieure, indifférente à la course du monde en dehors de ses murs.

Or, si l’on appliquait cette définition stricto sensu, peu de candidats parviendraient à mériter le titre suprême. Pour qu’une manufacture de montres soit considérée réellement comme telle, il lui faudrait posséder ses propres mines de matières premières, puis concevoir et assembler ses pièces de A à Z (échappement, spiral, boîtier, etc.), sans jamais acheter la moindre vis auprès d’un fournisseur, sans jamais faire fabriquer la plus petite aiguille chez un sous-traitant.

On dira donc qu’une manufacture horlogère, dans sa forme plus accessible, est une entreprise qui conçoit une majeure partie de ses pièces elle-même, et notamment, au minimum, l’ensemble du mouvement de la montre ou de l’horloge ; puis qui en assure l’assemblage. Ce qui ne l’empêche pas de commander une pièce particulière auprès d’une société spécialisée. C’est la même différence qui existe entre un restaurateur de qualité et un fast food : le premier va préparer lui-même ses bons petits plats, sans pour autant faire pousser sa salade dans son jardin. Idem pour la manufacture horlogère dans sa définition la plus « démocratique ».

La manufacture horlogère, épicentre du monde des montres

Reste que cette démocratisation a du sens – car l’idée de « manufacture horlogère » génère un certain prestige et donne de la valeur aux marques qui peuvent s’en prévaloir. Dans un monde toujours plus ouvert, dans lequel les progrès de la mondialisation ont tendance à brouiller les notions d’origine et de qualité de produits, la manufacture est aisément élevée au rang de label qualitatif : une firme qui fabrique ses propres montres, en interne, et qui veille à sa bonne production de bout en bout, pourra ainsi s’appuyer sur cette valeur ajoutée pour optimiser son marketing et toucher un public averti. Ce qui, le plus souvent, veut dire : vendre des montres plus cher.

De fait, la manufacture de montres est devenue l’épicentre du tremblement de terre horloger qui a touché la planète voici quelques décennies. À partir des années 2000, on constate en effet une ruée vers l’or visant, pour de nombreux acteurs du marché, à obtenir cette appellation synonyme de prestige – des entreprises qui se contentaient autrefois d’emboîter des mécanismes préexistants, et qui se sont transformées avec le temps en manufactures horlogères complètes.

Cette tendance coïncide avec la compartimentation du marché des montres en deux entités bien distinctes : d’un côté, la production de consommation courante, type montres à quartz, qui s’est imposée dès les années 70. Et de l’autre, les garde-temps évoluant dans les segments du haut de gamme et du luxe, mécaniques, et donc fabriqués par des manufactures de montres. Ces modèles sont créés à destination de consommateurs triés sur le volet, capables de débourser plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d’euros.

Du double sens de manufacture

C’est pourquoi, dans les premières années du nouveau millénaire, de nombreuses marques se sont mis martel en tête pour se métamorphoser en manufactures, souvent en acquérant, pour les mettre sous leur bannière, les fournisseurs et sous-traitants auxquels ils faisaient appel jusque là – ce fut le cas de Breguet, Breitling, Omega ou Rolex, par exemple. D’autres ont démarré de zéro, à la force du poignet – et des aiguilles.

Seulement, ne nous y trompons pas : le principe de manufacture horlogère n’est pas propre aux garde-temps de luxe, pas plus que la fabrication de modèles haut de gamme n’est forcément rattachée à cette notion. L’entreprise japonaise Seiko, qui propose des produits de grande consommation à petits prix, est une manufacture de montres au sens strict (elle a adopté un modèle vertical qui lui permet d’être totalement indépendante) ; tandis qu’un grand nom tel que Vacheron Constantin, l’une des marques les plus luxueuses et les plus anciennes en activité, se fournit en mouvements chez d’autres fabricants.

On le voit : la notion est volatile. Mais il reste que l’expression « manufacture horlogère » continue à faire rêver les amateurs de belles montres – et sans doute pour très longtemps encore.