Gnomon, cadran solaire, clepsydre ou sablier… Depuis que le monde est monde, l’Homme a cherché à circonscrire l’écoulement inexorable du temps, dans le but d’en mesurer les intervalles à son usage. Vers la fin du Moyen Âge, le récit de la mesure du temps fait place à une véritable histoire de l’horlogerie, lorsque les premiers mécanismes s’installent sur les clochers et les beffrois. C’est l’époque de l’horloge médiévale et de la naissance de l’horlogerie mécanique, qui ouvrit la voie à la conception moderne du temps.

L’horloge médiévale : une affaire de croyance

Emmanuel Poulle, dans « Pour une typologie de l’horlogerie astronomique médiévale » (à lire dans son entier ici) note que l’horlogerie connaît, au XIVe siècle, un développement extraordinaire. Il ajoute que l’on peut percevoir son importance en observant la hausse de l’usage du terme « horloge », désormais utilisé pour désigner non plus les divers instruments de mesure du temps (gnomon et autres clepsydres), mais bien des horloges au sens où on l’entend aujourd’hui.

Dans ses premiers temps, l’horlogerie mécanique, comme avant elle la « simple » mesure du temps, est affaire d’hommes d’Église : ce furent les moines qui importèrent l’horloge à feu dans le but d’organiser les heures canoniales nocturnes, et ce sont les religieux, encore, qui offrent à de hauts techniciens l’occasion de concevoir et de réaliser les premières horloges mécaniques afin de les installer sur les clochers et les tours de leurs églises. Parfois, il s’agit d’horloges astronomiques, capables de mesurer la course du soleil dans le ciel.

De fait, les premières horloges européennes ont été conçues moins pour donner l’heure que pour la sonner. On en relève traditionnellement deux types :

  • L’horloge de chambre, ou réveille-matin : elle est destinée à la cellule du gardien de l’horloge, dans l’abbaye ou le monastère, et fait tinter une cloche indiquant à l’abbé qu’il est l’heure de la prière.
  • L’horloge de clocher ou de tour : placée en hauteur, dans les établissements monastiques ou les églises, elle met automatiquement en branle la grosse cloche signalant l’heure de la prière, cette même cloche que le préposé devait activer après y avoir été invité par l’horloge de chambre.

Quand la mesure du temps devient mécanique

L’horloge médiévale représente un changement important en regard des instruments de mesure du temps utilisés jusque là : de par sa nature, du fait qu’elle impose un geste de frappement de marteau sur une cloche, elle embarque une nouvelle logique. Il ne suffit plus de percevoir le temps qui s’écoule ; il faut encore informer la communauté quant au moment des dévotions, et pour cela, élaborer des systèmes qui puissent sonner les heures.

L’horloge médiévale est ainsi le résultat d’une nécessité monastique matérialisée sous la forme d’une invention révolutionnaire, dans sa forme certes primitive : l’échappement, qui a pour objet de maîtriser la manière dont la force motrice s’échappe vers l’horloge. Une horloge mécanique peut ainsi fonctionner des heures durant, grâce au contrôle de la chute d’un poids. Cette innovation capitale n’est rien d’autre que la naissance, à proprement parler, des mécanismes qui ouvriront la voie à l’horlogerie moderne.

Dès lors, partout en Europe, on installe des horloges de grande taille au sommet des clochers et des beffrois. En sonnant les heures égales, elles diffusent une perception nouvelle du temps. Les tours des églises se transforment en tours-horloges ; les clochers deviennent des campaniles ; l’horloge astronomique se pare de mouvement étonnants et de mécanismes originaux ; l’écoulement du temps se métamorphose en un service public, offert à tous au sein de la communauté.

Le métier d’horloger durant la période médiévale

Si l’on ne peut pas alors parler littéralement d’ « horloger », l’horlogerie médiévale possède néanmoins ses techniciens de valeur, et jusqu’au XVe siècle, c’est bel et bien une profession qui prend forme doucement, agrégeant de nombreuses compétences techniques au service d’un même dessein. Au départ, l’horlogerie reste toutefois une activité annexe pour ces orfèvres, serruriers, forgerons et ferronniers qui expérimentent et inventent des mécanismes originaux ; ils viennent en aide aux astronomes, géomètres et philosophes qui cherchent à emprisonner la durée dans de nouvelles machines temporelles (voir sur cette page).

La fragilité des mécanismes contraignant à une attention constante, le premier véritable métier lié à l’horlogerie médiévale est celui de gardien : il prend en charge, à demeure, dans la ville ou le village, la maintenance du garde-temps local. Le plus souvent, ce sont les fabricants qui se chargent de cette tâche : se déplaçant avec la totalité de leurs outils et de leur personnel, forge comprise, ils réalisent et installent les horloges sur les monuments publics, puis reviennent à intervalles réguliers afin d’en assurer le fonctionnement, sur un territoire géographique restreint.

Mais très tôt, on assiste à l’apparition des premiers horlogers dignes de porter ce nom : l’Anglais Richard de Wallingford (autour de 1330) et l’Italien Giovanni Dondi (seconde partie du XIVe siècle), qui passent tous deux maîtres dans l’art de construire des horloges astronomiques. À partir de ces deux précédents, quelques horlogers acquièrent une certaine renommée ; mais il faut attendre la fin du XVe siècle et le statut officiel octroyé par Louis XI aux horlogers royaux pour que la seule technicité se transforme en une profession reconnue, marquant, de fait, la fin de l’horlogerie médiévale et le début de l’horlogerie moderne.