L’horlogerie du XXe siècle est secouée par un vaste mouvement, qui transforme en profondeur le visage de l’industrie mondiale : d’abord avec le développement des montres-bracelets, qui s’affichent fièrement aux poignets, puis avec l’apparition de la montre à quartz et la production en masse de garde-temps électroniques, aux dépens de l’industrie mécanique traditionnelle propre à la Suisse (c’est ce qu’on nommera la « crise du quartz »). Il faudra attendre la toute fin du millénaire pour que la montre mécanique, notamment par le biais du chronographe, redonne ses couleurs à l’horlogerie suisse. Découvrez donc dès maintenant l’histoire de l’horlogerie durant cette période.

La montre-bracelet, acte de naissance de l’horlogerie du XXe siècle

S’il fallait déterminer le moment précis de la naissance de l’horlogerie du XXe siècle, ce serait certainement à l’instant de l’apparition de la montre-bracelet moderne. C’est pour répondre à une demande spécifique de son ami aviateur, Alberto Santos-Dumont, que l’horloger Louis Cartier (associé à Hans Wilsdorf) conçoit une montre prévue pour être portée uniquement au poignet, de façon à ce que le pilote puisse regarder l’heure sans avoir à tirer son chronographe de son gousset.

Cela se passe en 1904, soit près d’un siècle après que Abraham-Louis Breguet a fabriqué le premier bracelet embarquant un garde-temps, offert à la reine de Naples (et près de deux siècles et demi après que Blaise Pascal eut eu l’idée d’attacher sa montre de poche autour de son poignet à l’aide d’une ficelle). Mais cette fois, lorsque le modèle Santos est commercialisé à partir de 1911, le monde de l’horlogerie est prêt à remplacer la célèbre montre à gousset, accessoire de mode privilégié de la gent masculine jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale.

Toutefois, les premiers modèles trouvent un écho principalement chez les femmes, et moins comme un instrument précis de mesure du temps qu’en tant qu’accessoire. Chez les hommes, il faudra attendre le processus de virilisation de la montre-bracelet par les militaires (et notamment les pilotes d’avions) pour que l’objet cesse d’être considéré comme farfelu et efféminé.

Le besoin de précision et la révolution de l’horloge à quartz

L’histoire de l’horlogerie est aussi celle d’une quête de plus en plus pointue de précision. C’est dans cette optique qu’à la suite des découvertes des époux Curie sur l’effet piézo-électrique du quartz, les Américains Warren Morrison et J.W. Horton mettent au point, en 1928, la première horloge à quartz ; du fait des propriétés de cette pierre, son horloge est infiniment plus fiable que les systèmes mécaniques – avec une précision de l’ordre d’un millième de seconde par jour.

Avec la miniaturisation progressive des mouvements à quartz, l’industrie japonaise parvient à présenter un premier modèle de montre à quartz en 1969 – une montre qui utilise un oscillateur à quartz mis en mouvement par une stimulation électrique. On le doit à la société Seiko, déjà connue pour avoir produit le premier chronographe de poche du Japon.

Les recherches dans ce domaine se poursuivent avec la mise au point des horloges atomiques, à partir de 1947. Ces horloges s’appuient sur l’immuabilité du rayonnement électromagnétique de l’électron pour garantir l’exactitude du signal oscillant ; ces instruments peuvent ainsi imposer des échelles de temps de référence sur toute la planète (le « temps atomique international »).

Une autre nouveauté – ou plutôt un développement – découle directement de cette quête de précision propre à l’horlogerie du XXe siècle : l’essor du chronographe. La montre équipée d’une complication permettant de mesurer la durée d’un événement à l’aide d’une aiguille supplémentaire connaît son heure de gloire dès la première partie du siècle. Omega en est la marque emblématique dès cette époque, avec la fabrication de chronographes utilisés pour le chronométrage sportif durant les Jeux olympiques ; mais on peut citer également Longines et Heuer, qui dominent la scène d’avant la Seconde Guerre mondiale. (À noter que la différence entre le chronographe et le chronomètre est une affaire de précision ; un chronomètre doit nécessairement avoir obtenu un certificat du Contrôle officiel suisse des chronomètres.)

La Suisse, la crise du quartz et la naissance de la Swatch

Si la mécanisation horlogère venue des États-Unis depuis le milieu du XIXe siècle n’a pas mis au tapis l’industrie suisse, qui a su s’adapter aux nouvelles donnes du marché, le XXe siècle lui cause bien des soucis. Le séisme de la Grande Dépression américaine provoque des remous jusque sur le Vieux Continent ; en Suisse, l’industrie des montres est encore dominée par des entreprises familiales, trop petites, touchées de plein fouet par la crise économique. Les fabricants de pièces, notamment, se retrouvent bientôt en grand danger, à tel point que la Confédération doit s’associer avec les banques pour fonder une holding destinée à réunir ces artisans, sans lesquels l’industrie ne saurait survivre (ce sont eux qui fabriquent balanciers, spiraux et autres pierres d’horlogerie).

Mais la véritable tempête arrive plus tard, au cours de la décennie 70. L’apparition de la montre à quartz a permis aux industries japonaises d’inonder le marché avec des garde-temps électroniques proposés à des prix défiant toute concurrence. Les Américains suivent le mouvement, plaçant l’appétence pour la quantité au-dessus du besoin de qualité. La « crise du quartz » ébranle tant et si bien l’empire horloger suisse, arc-bouté sur une conception artisanale haut de gamme mais coûteuse, qu’il menace de s’effondrer. En 5 années, la part de marché des constructeurs suisses passe de 50 % à … 5 % !

Heureusement, l’horlogerie du XXe siècle voit apparaître ses propres génies ; ceux-ci ne sont plus des inventeurs majeurs comme le furent Breguet ou Jaquet-Droz, mais plutôt des hommes d’affaires brillants, capables de lire dans les pensées du marché. C’est le cas de Nicolas Hayek, un Libanais naturalisé Suisse qui, au début des années 80, est sollicité pour analyser les causes du naufrage. La création de la Swatch découle de cet audit particulièrement sévère : avec ce garde-temps qui mêle qualité, rapidité de fabrication et coût réduit de la main-d’œuvre, Hayek sauve littéralement l’industrie nationale et permet à la Suisse de s’extraire avec bonheur de la crise du quartz.

Après le quartz : retour vers le mécanique

Malgré la prédominance des montres à quartz japonaises, dont le marché dépasse pour la première fois, en 1982, celui des montres mécaniques, l’industrie suisse sort de la crise grâce à Nicolas Hayek et ses millions de Swatch vendues à travers le monde.

Comme l’ensemble des complications mécaniques, les chronographes souffrent de cette évolution : avec les montres digitales des années 80 qui embarquent volontiers une fonction de chronographe pour des prix réduits, les acheteurs délaissent les modèles plus qualitatifs, plus artisanaux, mais aussi bien plus chers.

Dans les années 2000, cependant, on observe un retour en force du mécanique au sein de l’industrie horlogère suisse, qui se positionne de nouveau, et avec succès, sur le secteur du luxe. Le chronographe incarne ce renouveau : les chiffres de vente passent de 1 million de pièces en 1990, à 4,2 millions en 2000 puis à 5,3 millions en 2010.

Après la crise du quartz et la bataille rangée de la montre à quartz, les fabricants helvétiques se recentrent sur l’artisanat. Ils parviennent à transformer intelligemment l’objet garde-temps en produit de luxe, de tradition et de mode tout à la fois, mettant en valeur le savoir-faire suisse comme un symbole de prestige inaccessible au plus grand nombre. Certes, l’industrie horlogère suisse ne domine plus en termes de parts de marché ; mais elle reste première en termes de valeur marchande.