Distinguée par l’Unesco pour son « urbanisme horloger », au même titre que sa voisine La Chaux-de-Fonds, la ville du Locle, dans le canton suisse de Neuchâtel, revendique pleinement son histoire horlogère. Et à raison, puisque la « cité de la précision » est connue pour être le berceau de l’horlogerie helvétique, notamment grâce aux progrès apportés par Daniel JeanRichard. Un héritage qui s’affiche jusque dans le découpage de ses rues.

Un détour par l’histoire horlogère du Locle

La prospérité horlogère de la ville du Locle, qui a démarré dans les premières années du XVIIIe siècle, est intimement liée à la présence sur ses terres de Daniel Jeanrichard. Précoce, le jeune homme, originaire de La Sagne, parvient de lui-même à réparer la montre d’un voyageur, avant de se lancer dans la fabrication de son propre modèle, sans aucune assistance. Il ouvre son atelier en 1705, le premier d’une longue série dans la commune.

Une fois installée au Locle, l’activité prend rapidement son essor : en 1750, 77 horlogers y travaillent ; ils sont 800 un demi-siècle plus tard ! L’artisanat traditionnel, notamment la fabrication de dentelle, disparaît au profit de la conception et de la production des montres. Les chronomètres de marine et les garde-temps de poche transforment la cité en centre de production majeur, surtout grâce à l’invention de l’établissage qui permet d’accélérer la main-d’œuvre, avant que l’ouverture des premières fabriques, à la fin du XIXe siècle, ne fasse basculer le Locle – et l’horlogerie mondiale – dans l’industrialisation. Les machines-outils suivront bientôt, avec le succès que l’on sait.

Cette prospérité, on la doit surtout aux grands inventeurs qui ont foulé ces terres. Citons les principaux : Philippe DuBois, Georges Favre-Jacot, Jacques-Frédéric Houriet, Daniel JeanRichard, Jules Juergensen, Sylvain Mairet, Ulysse Nardin, Abraham-Louis Perrelet, Charles-Émile et Charles-Félicien Tissot.

Un urbanisme adapté à l’industrialisation horlogère

Avec ses 10 000 habitants et son climat glacial en hiver (jusqu’à -30 degrés régulièrement atteints), cette ville frontalière de Villers-le-Lac, dans le département français du Doubs, confortablement installée entre les montagnes du Jura suisse, n’aurait peut-être jamais fait parler d’elle si montres et horloges n’y avaient pas occupé une place si importante. Mais voilà : la prédominance des mécanismes de précision y était telle que, rapidement, sous l’impulsion des ateliers qui se multiplient, la ville se transforme en véritable cité horlogère. Au début du XIXe siècle, trois incendies malheureux, coup sur coup, détruisent en partie la commune et décident les autorités à revoir entièrement son urbanisme : celui-ci sera désormais tourné exclusivement vers la production des horloges, comme si la ville elle-même devenait un outil de production.

Cet étonnant exemple d’urbanisme ordonné en fonction d’une activité mono-industrielle a été distingué par l’Unesco, qui a inscrit l’urbanisme horloger du Locle en 2009 au patrimoine mondial de l’humanité, en même temps que celui de sa voisine La Chaux-de-Fonds. Dans ces deux villes, les progrès et les besoins de l’industrialisation horlogère ont transformé jusqu’au plan des quartiers : schéma en damier, ouvert et formant des bandes parallèles ; quartiers ouvriers accueillant l’importante main-d’œuvre nécessaire à la fabrication des montres et des horloges ; et bâtiments conçus pour être à la fois des ateliers et des logements.

Un patrimoine plus vivant que jamais

Loin de reléguer au passé cet héritage horloger, Le Locle continue de faire rayonner sa culture des montres à travers les montagnes jurassiennes. Les passionnés de garde-temps y sont conviés pour participer à de nombreuses activités, et notamment un Parcours Horloger. Celui-ci déroule ses 39 étapes, à partir de la Place du Marché, pour partir à la découverte de la ville et de son patrimoine consacré aux créateurs de montres d’hier et d’aujourd’hui, avant de se conclure par une visite guidée du Musée d’horlogerie situé au Château des Monts. À l’intérieur, ce sont des merveilles tocantes qui attendent les amoureux de la précision : collection de pendules et de montres, d’outils et de machines, de mécanismes et d’automates. Le tout proposé au regard dans une magnifique demeure de style Louis XVI, ancienne propriété d’un maître-horloger du cru.

En outre, en collaboration avec La Chaux-de-Fonds, Le Locle accueille annuellement, depuis 2010, une Biennale du patrimoine horloger. Une occasion supplémentaire de visiter les bâtiments et ateliers qui ont forgé l’héritage du Locle, mais également de pénétrer dans les manufactures les plus modernes.

Le Locle perpétue sa grande tradition des montres

De nos jours, l’économie du Locle continue de prospérer – dans le sens des aiguilles d’une montre, bien entendu. Les ateliers les plus anciens et réputés (Audemars Piguet, Tissot, Rolex, Ulysse Nardin, Zénith) côtoient les entreprises récemment installées (Jossi, implantée dans la cité de la précision en 1974), et les fabricants de mécanismes pointus se trouvent à proximité des concepteurs de cadrans et autres graveurs (à l’instar de Metalem ou de Jean Singer & Cie). Même les montres rendent hommage à la ville : lancée à l’occasion des 150 ans de Tissot, la Tissot Le Locle Automatique fait honneur aux garde-temps qui l’ont précédée.

Et parce que la tradition mérite de se perpétuer, Le Locle prend également en charge la formation des futurs grands horlogers du cru, à travers deux établissements : la Haute École Arc Ingénierie ; et l’École technique du Locle, aussi appelée Centre interrégional de formation des montagnes neuchâteloises (Cifom-ET), fondée en 1868 et divisée entre l’école des métiers, l’école professionnelle technique et l’école supérieure technique.

Au Locle, la tradition horlogère est un mécanisme qui fait jouer tous ses rouages pour continuer de fonctionner. Et, à l’image du Temps lui-même, ce mécanisme n’est pas prêt de s’arrêter.